Les premières années selon SEb.

Avant que tout ça ne se perde, il me semblait utile, voire amusant, de garder par écrit quelques traces des origines de « Moi j’m’en fous je triche » et de ses premières années.
Je ne suis pas si mal placé pour le faire, faisant partie des fondateurs et étant membre au moins du CA pendant les quatre premières années. Ceci étant, je vous préviens tout de suite, cela reste mon point de vue et mes souvenirs. Je ne revendique aucune objectivité, juste une volonté de ne provoquer personne, et je serais au contraire heureux de voire d’autres versions de ces premières années.

Au commencement, il y a une association nommée Et c’est heureux car mon frère n’aime pas les épinards. Celle‑ci a déjà connu plusieurs années d’existence, mais de ses membres d’origine ne reste qu’Elizabeth. Accompagnée notamment de Nicolas, elle anime dans des bars des après‑midi ou des soirées jeu de société. C’est à l’occasion d’une de ces interventions, dans le pub le Nébuchadnezzar, que je rencontre cette association. Partant une envie de faire découvrir les jeux de société et de faire se rencontrer les gens autour de ces jeux, je rejoins l’équipe.
Pendant quelques années, nous animerons ainsi diverses soirées au sein de bar, de librairies, voire d’écoles pour des soirées étudiantes. Ces soirées nous sont payées par les bars en question et permettent d’agrandir et d’entretenir la ludothèque de Et c’est heureux car mon frère n’aime pas les épinards. Nous intervenons notamment à la Mi‑Graine, très régulièrement, et c’est l’occasion de voir apparaître des habitués, qui viennent pour certains renforcer l’équipe, réduite, de l’association.

C’est de cette équipe que va naître l’envie d’avoir un lieu à nous, un endroit où poser nos jeux, mais aussi où développer autre chose que des interventions ponctuelles, créer une ambiance une convivialité, des soirées à thème, des croisements avec d’autres objets culturels.
Nous serons finalement quatre, mousquetaires inquiets, à vouloir nous lancer dans l’aventure : Elizabeth, Pierre, Jean-Marc et Sébastien. Nous n’avons aucune expérience dans la gestion d’un bar, ni dans la gestion d’un lieu de cette envergure. Nous discutons beaucoup de la forme à donner à cette structure.

Pendant un moment, nous envisageons la possibilité de rejoindre un bar associatif déjà existant : le Bastringue. On fait pendant l’été les travaux avec eux, on se motive, on s’investit. Pour s’apercevoir finalement que l’envie de partage de leur part est bien limitée et qu’ils comptent bien garder le contrôle complet de ce qu’il se passe, et que même nous intégrer au CA, c’est plutôt pas gagné. On arrête là, donc, en plutôt mauvais termes, et il faudra bien des efforts et des relances pour réussir à obtenir au moins le remboursement de l’argent qu’on avait mis dans le projet. Et retour à la case départ.

Nous décidons finalement de créer une seconde association, destinée à gérer le lieu lui‑même, les finances du bar, etc. Notre volonté est de garder la ludothèque séparée du bar:lieu afin principalement de protéger la collection de jeux en cas d’échec du projet du bar. L’idée est donc de louer, dès que possible financièrement, les jeux aux Épinards, et de croiser les doigts pour que le lieu tourne assez pour être viable.
Il faut le dire, nos prévisions sont passablement pessimistes, puisqu’on se demande beaucoup plus si on va réussir à survivre, si vingt adhérents chaque soir c’est accessible comme objectif par exemple, que de gérer le succès éventuel.
Bref, après quelques détours, nous fondons Moi j’m’en fous je triche.
Oui, nous aimons beaucoup les noms idiots. Le fisc, lui, apprécie moins notre humour lorsque nous les contactons au téléphone : tricher, c’est pas leur truc.

Les démarches ne sont pas simples, mais nous trouvons enfin un local dans nos prix (parce qu’en signant pour trois ans un bail commercial, on veut vraiment être sûr de pas se planter, ou en tout cas pas trop) et dans un quartier central, ce qui faisait partie de nos critères. Bon, à ce prix‑là, c’est dans un sale état, et c’est tout petit.
Mais les travaux ne nous font pas peur et les bénévoles et les coups de main sont largement au rendez‑vous. On casse le coffrage pourri de la mezzanine, on fait refaire les montants de la mezzanine. On dégage les passages en tombant des encadrures de porte. On enlève une épaisseur de sol dans la première pièce, deux dans la seconde (lino puis plancher) mais on a le bonheur d’y découvrir, sur deux tiers, des tomettes. Du coup, on refait une chape et des tomettes. On fait sauter le caisson de la vitrine et on y trouve un gros rat momifié. On vide la cave tout et n’importe quoi, oui, même un crocodile en carton. On construit un bar. On repeint tout. On met de la lumière. On installe des rangements.
Globalement, on refait tout. Ca se fait en fait en plusieurs fois, notamment pendant des périodes de fermeture exceptionnelles dédiées à divers travaux. Je ne me souviens plus de l’enchaînement, mais il faut pas loin d’un an et demi pour arriver à un résultat stable.
À coté de ça, c’est aussi l’aventure des démarches administratives et autres autorisations, dont une licence, une visite de la Sacem, etc. Pierre, président à l’époque, a aussi le droit a une invitation des plus instructives au commissariat voisin sur le thème : vous faites de la concurrence aux bars commerciaux, ils n’aiment pas ça et on pourrait vous faire fermer pour pas grand‑chose donc tenez‑vous bien et ayez des tarifs équivalents à ceux de vos voisins.

Mais tout cela n’est pas en vain puisque, très rapidement, le succès est au rendez‑vous. Il dépasse même très largement nos espérances les plus folles. Et tout ça, sans aucune communication, ce sera uniquement l’œuvre du bouche‑à‑oreille et ce seront les journaux qui viendront finalement s’intéresser à nous et nous faire quelques articles. On aura même un petit article dans Max qui nous fera bien rigoler.
Bref, ça fonctionne, bien. Très bien même.
Et tant mieux, parce qu’on enchaîne quand même beaucoup de permanences, certains trop même, histoire de faire tourner la boutique du mercredi au samedi. On trouve bien quelques personnes pour nous aider mais dans les premiers mois, c’est quand même au minimum une soirée par semaine chacun, avec des rotations pour assurer aussi les samedis.
Pierre et Elizabeth, en particulier, vont passer beaucoup de temps, en plus des permanences, à se coltiner les démarches administratives, la gestion des stocks puis la gestion des bénévoles.

Globalement, on se professionnalise. Bon, c’est progressif mais on fait de moins en moins n’importe quoi. On rencontre la Sacem, on améliore notre conformité incendie, on refait des travaux, on finit par faire un site web, non sans mal, on a de plus belles cartes de membres, une vitrine enfin, etc.
Tous les ans, rituellement, on s’inquiète également de se faire prendre d’assaut par des forces obscures et malveillantes. On prévoit donc des solutions pour éviter le putsch, qui ne viendra jamais.
On sera ensuite consacrés par le Petit Paumé, puis par le Routard.
Avec tout ça, ça tourne bien et on met pas mal de sous de coté. Notre idée est d’arriver à avoir assez d’avance pour embaucher quelqu’un en permanence, nommément Elizabeth. On aura assez vite assez d’argent pour réfléchir sérieusement à cette solution. Mais ça mettra des temps démesurés à se mettre en place, parce qu’on ne sait pas faire, et aussi parce que c’est compliqué mine de rien ces histoires. Mais bon, au final, c’est bien de notre faute si ça traîne tant. Du coup, Elizabeth trouve que c’est trop long et préfère commencer à investir son énergie ailleurs, c’est-à-dire dans la reprise d’activités spécifiques aux Épinards. Des tensions se créeront, qui mèneront finalement au départ d’Elizabeth de la Triche, puis, assez directement, à la séparation des deux structures. Cette séparation ne se fera pas sans heurts, ni sans frais mais chacun est maintenant à même de mener et d’investir dans ses propres projets. Pour les Épinards, il s’agira de monter un lieu à eux, pour la Triche de constituer sa propre collection de jeux puis de déménager vers un local plus grand.

Pour déménager, cependant, il nous faut un local. On passera pas mal de temps à écumer les petites annonces et les agences pour trouver quelque chose de grand, pas cher, sympa et pas loin de la place Sathonay. Ce n’est pas simple et on visitera pas mal de locaux qui ne nous convaincront pas, ou alors seulement à moitié. Il y a notamment une possibilité de s’intégrer, juste en face, au nouvel aménagement du bâtiment mené par Habitat et Humanisme, mais là aussi, ça semble petit. On fait les difficiles et on décide d’attendre.

Au final, le destin nous donne raison puisqu’on trouve un local rue Leynaud, qui est grand, qui est beau et qui fait l’unanimité. Du coup, on commence les diverses démarches de location, de déménagement, de questions de sécurité et de travaux. On peut d’ailleurs dire que Nat y passera particulièrement du temps et de l’énergie.
Les travaux sont d’abord un peu chaotiques, mais les échéances se rapprochant, on finit par y mettre un grand coup et ça prend vite une bien belle tournure. À noter que pour le bar, note centrale, on recrutera Émilie pour la seule partie rémunérée des travaux. Le challenge réel est de retrouver une ambiance et une qualité d’accueil qui ont fait notre réussite, et on se doute que le risque est important de se planter et de ne pas être suivi par nos adhérents dans ce nouveau local.
Et, avec ce tout beau local, on arrive à l’inauguration, moment où on se rend vraiment compte du chemin parcouru et de l’outil luxueux dont on dispose maintenant (surtout en comparaison de nos premières années).
Et quand je dis : dont on dispose, justement, c’est surtout dont vous disposez, puisque ce déménagement est aussi l’occasion de marquer un peu le fait qu’au niveau des adhérents actifs et des équipes qui gèrent le lieu, ça se renouvelle. De fait, notre objectif a toujours été de pouvoir transmettre cette association, ce projet, à de nouvelles équipes, parce qu’on ne compte pas le garder pour nous, ni s’y accrocher, ni continuer des années et des années.
C’est aussi ça qui justifie ce petit historique : une volonté de transmettre l’histoire du lieu et du projet autant que le lieu et les responsabilités, les envies et les joies qui vont avec.
Alors, c’est à vous maintenant…

SEb.

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