Les années 2007 à 2012 selon Matthieu

‘’Quand Thomas m’a demandé de revenir sur mes années à la Triche, 10 ans après, je dois dire que je n’étais pas très confiant : disons simplement que la mémoire n’a jamais été mon point fort… Mais finalement, je me dis que les impressions qu’il me reste et les anecdotes qui me reviendront seront sans doute les plus marquantes, et que ça me permettra peut-être de rester concis (autant que mon affabilité habituelle me le permette…). Vous comprendrez toutefois que je ne me risquerai pas à dater précisément tous ces événements. De même, je ne citerai pas toutes les personnes qui ont participé à cette grande aventure à l’époque (de peur d’en oublier beaucoup !), mais nombreuses sont celles qui sont encore présentes aujourd’hui dans mon esprit, dans mon cœur ou dans ma vie.

En relisant les quelques compte-rendus d’assemblée générale que j’ai participé à rédiger à l’époque, je réalise aujourd’hui à quel point ces années (de 2007 à 2012) ont été une période de transition, de construction et d’opportunités.

En 2007, après 4 ans d’existence, l’association dispose déjà de fondations incroyables : un nouveau local magnifique, une collection de jeux impressionnante, reconstituée en quelques mois à peine, des bénévoles très impliqués, une base d’adhérents confortable et relativement fidèle (puisqu’elle a majoritairement suivi le café malgré le récent déménagement), et une vraie passion commune pour le jeu et la transmission de ce loisir riche en partage.

Ce dont je me souvenais peut-être moins, c’est à quel point la Triche connaissait une crise profonde à cette époque : crise de motivation (et donc de main d’œuvre) après la douloureuse rupture avec les Épinards, crise d’identité après tous ces changements, crise financière, aussi (ou devrais-je dire « donc »). Il fallait inventer de nouvelles façons de fonctionner, trouver une nouvelle dynamique, sans pour autant perdre l’âme de la Triche : la passion, l’indépendance, la convivialité, et sans doute aussi une petite part de folie…

Mais globalement, les énergies sont à l’époque un peu érodées, et si on trouve toujours des volontaires pour accueillir les joueurs, leur servir à boire et leur expliquer des jeux, c’est plus compliqué de trouver des volontaires pour s’investir au-delà des permanences. On peine à trouver 6 personnes pour composer le CA, qui finira même la saison à 4, après le départ du trésorier puis l’embauche de Nat début 2008. Parce que c’est tout aussi compliqué de trouver des bénévoles pour passer les commandes de boissons pour le bar, faire les comptes au quotidien ou encore passer la serpillière. En vrai, il y a une volontaire, et c’est toujours la même : Nat. Il devient donc logique de lui proposer un poste à temps partiel pour s’occuper de ces tâches ingrates que personne ne veut plus avoir à faire (au point d’embaucher un temps une femme de ménage).

Cette embauche est une étape importante pour l’association, durant laquelle le CA confirme paradoxalement sa volonté de conserver un modèle associatif basé avant tout sur l’engagement bénévole : il n’est pas question de payer qui que ce soit pour assurer des permanences ! Nat doit aussi renoncer (à son grand regret) à sa voix au CA. Après s’être investie corps et âme dans l’association en tant que bénévole, administratrice et présidente, il faudra plusieurs années pour qu’elle et le CA parviennent à définir clairement les contours de son nouveau rôle de régisseuse, à en préciser les tâches et les articuler avec celles de bénévoles et des administrateurs. C’est sans doute un peu révélateur de la mutation en cours, entre une ancienne équipe restreinte et ultra-impliquée, et un nouveau fonctionnement plus ouvert, plus rationnel aussi, peut-être. Le départ en congé maternité de Nat et son remplacement par Coline sera d’ailleurs très enrichissant, et permettra à tous d’essayer de nouvelles choses, mais aussi de mieux prendre la mesure des tâches et des contraintes liées à ce poste de régisseuse.

Comme je le disais, ces années sont aussi marquées par une situation financière assez compliquée, à cause notamment des frais engagés dans le déménagement (travaux, reconstitution de la ludothèque, etc.) et de la difficulté à trouver un repreneur pour le bail commercial de l’ancien local, mais aussi des recettes très décevantes de la buvette. S’en suivra une nécessaire période de rigueur budgétaire : on reporte les travaux prévus (notamment l’ouverture tant souhaitée de la mezzanine), on limite les dépenses au strict minimum, le budget mensuel pour acheter des nouveaux jeux plafonnent à 50€ (4 fois moins que par la suite…), on ne rembourse plus les frais des auteurs ou éditeurs qu’on continue toutefois à inviter (et qui répondent souvent présents malgré ça !), et globalement, on cherche des solutions.

On revoit entièrement la carte des boissons, on rappelle régulièrement aux bénévoles qu’ils peuvent faire le tour des groupes pour inviter les joueurs à recommander à boire, on crée une carte en forme de cube pour attirer l’attention sur les tables, on interdit officiellement aux adhérents d’apporter leur propre boisson… On commence aussi à se faire connaître des éditeurs, on se fait prêter les nouveautés par des boutiques partenaires, avec lesquelles on négocie des avantages pour nos adhérents. La réflexion se porte également sur les adhésions : si on envisage un temps d’en augmenter tout simplement le prix, on préfère finalement créer les adhésions familles, ainsi que l’adhésion de soutien pour les membres les plus généreux. On pense terrasse, mezzanine, on tente de recruter de nouveaux bénévoles… 

Et malgré les difficultés rencontrées, on assiste à la naissance d’une nouvelle cohésion, d’une dynamique humaine incroyable et de traditions dont certaines perdurent peut-être encore aujourd’hui : l’échange de cadeaux au pied du sapin de Noël, la journée Casse-têtes (internationale !) de Jean-Baptiste, les Pacman urbains endiablés dans les pentes de la Croix-Rousse (on était jeunes et fous… et bien crevés en fin de journée !), les soirées-enquêtes du vendredi soir, les Olympiades et les Estivales, le vote pour l’As de Triche, l’anniversaire de la Triche et la fête du jeu de la rue Leynaud (qui n’aura jamais vraiment eu de nom officiel). De ces nombreux partenariats, comme avec nos voisins du Tripot ou de Croc’aux Jeux ou avec les gentils otakus de Lyon Hochi (pour 3 éditions inoubliables de « Moi Hoshi je triche »), naîtra l’idée d’un événement multi-partenarial plus ambitieux, qui trouvera plus tard une résonance dans le collectif Tout l’monde joue. Parmi les événements qui ont marqué les esprits (en tout cas le mien) et qui à mon sens reflètent bien cette période, on peut aussi citer un fameux tournoi de Crazy Kick (alias Ligretto Football), organisé avec soutien de l’éditeur et beaucoup de ferveur.

Durant ces deux années de galère, les bénévoles sont hyperactifs, le local n’est quasiment jamais fermé, et on commence à s’organiser pour canaliser et coordonner cette énergie : on structure un peu les réunions mensuelles, on met en place un forum, un agenda partagé des permanences, un cahier de liaison… Une procédure d’intégration des nouveaux est aussi rédigée, avec l’ambition de mettre en place un système de parrainage, des sessions de formation, etc.
Et tous nos efforts finissent par payer, puisque l’année 2009 est celle du renouveau : le CA est plus fourni et plus dynamique, l’équipe compte pas loin de 40 bénévoles, et le nombre d’adhérents explosent. On gagne 500 puis 700 nouveaux membres en 2009 et 2010, soit presque un quart du total à chaque fois ; du jamais vu depuis, je pense… (on peut sans doute en partie remercier OVS, même si on a tous râlé après les groupes trop nombreux, trop bruyants, pas assez dans l’esprit de l’association…). Et on commence même à se poser des problèmes de riches : « Comment gérer les personnes refusées? », « Comment augmenter la capacité du café ? », « Que faire de toute cette baignoire de billets de banque ? » (bon, peut-être pas riches à ce point-là, non plus…).

Paradoxalement, c’est à partir de ce moment qu’il devient encore plus compliqué de trouver des volontaires pour ouvrir le week-end (malgré les relances répétées de Maël) et que les animations au sein du café connaissent une certaine perte de vitesse. La motivation s’est peut-être un peu diluée dans l’afflux de nouveaux bénévoles, qui a permis à chacun de se sentir moins responsable, moins indispensable (à tort !). Ou peut-être que c’est la situation périlleuse de l’association qui avait jusque-là créé l’urgence nécessaire à une implication extraordinaire… Plus probablement, c’est juste que les bénévoles se sont investis différemment, et dans des projets souvent hors-les-murs.

L’aura de la Triche déborde en effet bien au-delà de la rue Leynaud, et on commence à investir le quartier, avec des animations place Colbert, au Festival Bellevue, à la K’Fête aux Mômes… On recevra même la visite de Madame la Maire d’arrondissement, assez impressionnée par notre local et cette activité insoupçonnée à quelques rues de la mairie…
On investit aussi la ville, avec une très forte implication dans l’organisation de Tous en Jeux (devenu l’événement de clôture de la programmation culturelle estivale de la Ville de Lyon, et par là-même un des premiers événements ludiques d’envergure soutenu à ce point par une grande municipalité).

On commence à être très souvent sollicités pour des prestations, auxquelles on répond systématiquement « pourquoi pas, en fonction de la disponibilité de nos bénévoles » (comme Gautier et ses interventions régulières auprès de l’Association des Paralysés de France). La possibilité d’une adhésion spéciale pour les associations et entreprises anime régulièrement les discussions au sein du CA, sans grande réussite…
Au niveau national, notre modèle est repris à Nancy par la Feinte de l’Ours et à Nice par Barulalude, tandis qu’on pose (lentement mais sûrement) les prémisses de ce qui deviendra officiellement plusieurs années plus tard le Réseau des cafés ludiques.
Et la reconnaissance est même internationale, puisqu’on partage notamment notre expérience avec les créateurs de Snakes’n Lattes, un bar canadien depuis couronné d’un succès incomparable. En 2011, la Triche est invitée d’honneur à Ludesco, festival suisse dont nous avions rencontré les organisateurs sur OctoGônes. Il faudra 2 voitures (dont une qui tombera malheureusement en panne avant de rentrer sur Lyon…) pour transporter jusqu’à la Chaux-de-Fond la dizaine de bénévoles de notre délégation, venue avec le fameux Pacman urbain dans ses valises.

Pendant qu’on s’amuse comme des petits fous dans Lyon et au-delà, les nombreux départs et arrivées de bénévoles au sein du café commencent à poser la question de la transmission des savoir-faire aux nouveaux venus. On met peu à peu en place des outils et une organisation plus collaboratifs. Les propositions de nouvelles acquisitions se font désormais sur le forum, Grégoire fait un énorme travail sur la gestion informatique des adhésions (c’est pratique, et surtout on peut s’amuser à sortir tout un tas de stats plus ou moins utiles !), des permanences, des bénévoles et des jeux (je me souviens encore des heures passées à rentrer les 900 jeux de notre vieux tableau Excel dans notre collection sur boardgamegeek.com).

On vote officiellement l’agrandissement du CA, qui passe de 7 à 9 membres maximum, et on commence à créer des groupes de travail pour que les bénévoles puissent participer aux réflexions et aux décisions. En 2009, le premier groupe sera celui en charge d’acheter de nouveaux jeux et d’organiser la ludothèque, sous la houlette de Thomas G.. L’année suivante, on crée le groupe Événements, puis l’année encore après, le groupe Communication et le groupe Déco (souvent appelé groupe Chiottes puisque son premier chantier concernait les toilettes…).

On peut s’appuyer sur la richesse des différents profils au sein de l’équipe de bénévoles, qui viennent avec leur envie, mais aussi leur vision et leur expertise (en informatique, scénographie, gestion de projet, graphisme…).

Toute cette période est ainsi marquée par des travaux, grands et petits, souvent menés de main de maître par les bénévoles : Violaine, Jérôme et Alexandre imaginent des luminaires féériques, on transforme la vieille porte de théâtre (factice) en étagères à nouveautés, Ralph refait tout le sol et l’organisation derrière bar, Jérôme refait la sono, Alexandre installe un système d’accrochage pour les expos… En 2010, on fait cette fois appel à un artisan pour changer l’escalier et enfin ouvrir la mezzanine au public, mais aussi refaire toutes les étagères de jeux, ce qui permet de revoir entièrement le rangement et le classement de la ludothèque (au grand dam des partisans de l’ancien système de tri par… couleurs des boîtes !).

Après la crise, cette période plus sereine est aussi celle d’une certaine introspection et réaffirmation de l’identité de la Triche : 3 ans après le remaniement de la carte pour relancer les ventes de boissons, on opère à nouveau une refonte profonde, mais cette fois-ci pour privilégier les fournisseurs éthiques, locaux et bio, en même temps qu’on met en place du tri sélectif. Tous les projets, au local ou en dehors, vont dans le sens de l’ouverture et de la diversité. Les moindres travaux sont motivés par la recherche de convivialité et de partage. Et plus que jamais la transmission du plaisir de jouer est au cœur de toutes nos actions.

Un des plus beaux symboles de tout ça (et à mes yeux la preuve que tous ces jolis mots ne sont pas juste du vent), c’est sans doute le succès des premières ouvertures, sur inscriptions, pour les réveillons de Noël et du Jour de l’An, en 2010 (si ma mémoire ne me fait pas défaut). Des dizaines de personnes qui se retrouvent pour fêter ces moments ensemble, dans la bonne humeur et autour de bonnes choses, c’est ce que j’appelle une famille…

Parmi les innombrables autres souvenirs, bons ou moins bons, que je ne sais pas trop comment partager à part sous forme de liste, je citerai les anecdotes suivantes :

le fameux défi Cacolac, lancé en 2008 officiellement pour confirmer ou non le maintien de la boisson au sein de notre carte, et plus honnêtement juste pour faire une petite frayeur aux fans de chocolat froid. L’objectif des 500 bouteilles vendues a été atteint dès le mois de mai, grâce au soutien inattendu du fabricant qui ne savait sans doute pas quoi faire de ses tee-shirts, stylos et autre bouteille gonflable de promotion !

la visite de la police pour tapage et la plainte d’un voisin du dessus pas très coopératif. Au final, plus de peur que de mal pour Guillaume, le bénévole injustement visé par la plainte, et la pose de ce magnifique faux plafond que vous pouvez encore admirer sur la moitié de la salle…

L’arrivée du lave-verres, fin 2010, accueilli comme le messie par des bénévoles fatigués de faire la vaisselle plusieurs fois par soirée. Même chose pour la pose de la ligne d’eau sur la tireuse à bière, qui a permis à toutes et à tous de rentrer chez soi dans des habits secs les soirs où il fallait changer un fût…

Le plantage mémorable du serveur d’envoi de la newsletter, réduite au silence pendant près de 2 ans entre 2008 et 2010…

Et enfin, cette enseigne en carton confectionnée à la hâte à l’occasion d’une Fête des Lumières (2008 ?), et qui a résisté au temps et aux intempéries au-delà de nos espérances les plus optimistes !

Comme je le disais plus haut, cette période fut celle d’une transition, pas toujours simple. Si les premières années de l’association ont permis d’en poser les bases et l’esprit, ses fondateurs ont petit à petit laissé leur place : Élizabeth dans les conditions que l’on sait ; Pierre, sans doute usé par cette même déchirure ; SEb, gardien du temple impatient de passer la main ; et enfin Jean-Marc, le plus persévérant, peut-être le plus épris de la Triche, aussi, qui aura su peu à peu accepter que son projet le dépassait finalement. La nouvelle génération de bénévoles et d’administrateurs, arrivés comme simples adhérents dans une association déjà existante et qui ne leur appartenait pas, a logiquement renforcé encore l’esprit d’ouverture et d’hospitalité du café. Et c’est heureux, car les bénévoles constituent vraiment la plus grande richesse de la Triche. Plus que le local, plus que les jeux ou les boissons. C’est d’ailleurs ce que le CA a reconnu officiellement à partir de 2009 en valorisant dans les comptes de l’association les centaines d’heures de travail offertes chaque année par les bénévoles, sous forme de permanences, de travaux, de réunion ou d’animations diverses.’’

Matthieu
Texte rédigé en septembre 2018, dans le train pour Nancy pour fêter les 10 ans de la Feinte de l’ours !

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